Lo curat de la chapela - La calha
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Lo curat de la chapela - La calha
Lo curat de la chapela, "Le curé de la chapelle", bourrée à trois temps jouée au violon par Joseph Perrier.
Enregistrée à Pérol, commune de Champs-sur-Tarentaine, Cantal, vers 1986, par Eric Cousteix.
Enregistrement originellement publié dans la cassette audio « Musique du canton – Champs-sur-Tarentaine » (AMTA 1987), puis mis en ligne sur la Base Interrégionale du Patrimoine oral. Enregistrement reproduit avec l'aimable autorisation d'Eric Cousteix
Cette bourrée au style très développé est l'aboutissement d'un vaste répertoire de bourrées apparentées entre elles. Cette étude propose de tracer le chemin d'évolution mélodique de ces bourrées à trois temps du Massif central, du plus simple avec la bourrée La calha, au plus développé, avec Lo curat de la chapela.
Les violoneux du Massif central
Comme ailleurs en France, une précieuse partie des répertoires dits « traditionnels » d'Auvergne et Limousin a été sauvegardée, avant son extinction, sur des supports « morts » : recueils écrits des XIXe et début XXe siècles, et enregistrements sonores commerciaux pendant l'entre-deux-guerres (disques 78 tours et quelques cylindres).
Heureusement, avant qu'il ne soit trop tard, toute une autre partie des répertoires, et avec elle son arrière-plan humain et culturel (souvenirs, récits et anecdotes, savoir-faire, styles et sons, etc) a pu être transmise de façon vivante, par la rencontre de jeunes musiciens et chercheurs avec une ou deux générations de chanteurs et musiciens populaires âgés.
Cette rencontre s'est faite lors du mouvement de « collectage », principalement au cours des années 1970 et 1980. En particulier, les violoneux rencontrés et enregistrés dans le Massif Central étaient nés entre les dernières années du XIXe siècle et le tout début des années 1920. Ils ont pu témoigner aussi de l'activité des violoneux de la génération précédente. Les renseignements que nous donnons ici sur les contextes de leur musique concernent donc cette période (très approximativement 1860-1940).
Le violon dans le Massif central
La densité de la pratique populaire du violon dans ces régions du Massif Central, à la période fin XIXe-début XXe siècle, a de quoi surprendre : des violoneux de l'Artense affirmaient la présence de l'instrument presque dans chaque maison, et l'on pouvait à cette époque acheter des cordes de violon au bureau de tabac d'Egliseneuve-d'Entraigues, petite commune de l'Artense.
Bien sûr, beaucoup de jeunes s'y essayaient, mais tous ne devenaient pas l'égal des grands violoneux dont certains, renommés au-delà de leur canton, pouvaient même susciter l'intérêt de « violonistes de la ville » se déplaçant pour les écouter (d'après un témoignage sur Léger Gatignol dit « Trénou », violoneux de la commune de Besse-en-Chandesse, 63).
Des dizaines d'instrumentistes ont été rencontrés lors d'enquêtes de collectage en Massif Central, auxquels il faut ajouter, bien plus nombreux encore, les violoneux disparus évoqués par les témoins.
Dans son travail Le Violon Populaire en Massif Central - Les violoneux et leur musique (Les sources: Enquêtes et Documents), Olivier Durif établit un inventaire provisoire de ces musiciens, accompagné d'éléments biographiques. Cet ouvrage est disponible ici : http://crmtl.fr/ressources/patrimoine/le-violon-populaire-en-massif-central/
Cet inventaire a depuis été repris et intégré au site internet http://www.violoneux.fr/
Le violon a une longue histoire citadine d'instrument associé à la danse, depuis la corporation des ménétriers, joueurs d'instruments et maîtres à danser, animateurs de toutes les festivités de l'Ancien Régime, jusqu'aux orchestres de bal du début du XXe siècle.
En revanche, le développement d'une forte pratique du violon en milieu rural dans plusieurs régions de France semble être un phénomène relativement récent, qui coïncide avec le début, dans les premières décennies du XIXe siècle, de la production d'une lutherie industrielle, notamment à Mirecourt. Cette production de masse inonde alors le pays de violons bon marché, souvent vendus par correspondance, qui équipent tous les musiciens populaires. Des catalogues proposent toute une gamme de qualités et de tarifs, du violon d'étude au « violon de concert » en passant par le « violon de bal » au son puissant.
On a aussi quelques exemples de fabrication locale d'instruments par des violoneux, depuis le violon de fortune fait de matériaux de récupération faute de mieux, jusqu'à des instruments de facture honorable.
Mis à part les différences de qualité, les instruments utilisés par les violoneux sont en général conformes au violon standard : l'accordage en quinte est la règle générale, même si le diapason est très variable : beaucoup de violoneux collectés s'accordent beaucoup plus bas que le La 440.
Le métier de violoneux
En dehors d'une pratique purement personnelle, pour le plaisir, de mélodies empruntées à des chansons, l'essentiel de la musique des violoneux était tournée vers la danse : animation de veillées familiales ou de voisinage immédiat pour les « petits violoneux », bals de cafés et de mariages pour les violoneux plus réputés, bals d'auberges ou de parquets-salons lors des foires et autres fêtes patronales pour les quasi-professionnels.
Les conditions économiques allaient du bénévolat pur à l'embauche payée par l'organisateur, en passant par le dédommagement en nature et le paiement « au chapeau » ou « à la danse » directement par le public du bal.
Les violoneux étaient le plus souvent seuls, sauf dans le cas de certains musiciens particulièrement réputés qui jouaient à deux pour les bals de foire dans les plus gros bourgs.
L'efficacité du musicien « de routine » (désignant une pratique orale de la musique) dépendait non seulement de l'étendue et du choix de son répertoire, mais aussi de sa « cadence ». Dans le milieu populaire, ce terme désigne la qualité propre à un bon musicien de bal, qui inclut l'intensité et la projection du son, la mise en place rythmique, la pertinence de l'accentuation, qui appellent irrésistiblement le public à la danse.
Non moins important était le talent d'animateur du musicien, qui ne se contentait pas de dévider sa musique, mais devait être capable d'entretenir et de relancer sans cesse l'ambiance par des chansons, des plaisanteries, des histoires, en interpellant son public et en le faisant rire.
La transmission du répertoire des bourrées à trois temps et des autres danses
Les répertoires
Les bourrées à trois temps constituent le fonds du répertoire de danse de la région du Massif central. L'histoire de ces danses et des airs qui les accompagnent reste très mystérieuse. Au niveau des figures (assez diversifiées) et des pas, de nombreux observateurs ont noté des ressemblances parfois très fortes avec des danses espagnoles et portugaises, voire avec certaines de leurs descendances en Amérique latine (certaines cuecas boliviennes par exemple, voir cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ToJX5N0awa8 ).
En revanche, les répertoires musicaux ne semblent pas présenter de parenté aussi évidente. Les mélodies de bourrées à trois temps les plus anciennes que nous connaissons (sous le nom de « montagnardes », en Basse-Auvergne autour de 1800) sont des airs chantés très simples, et les montagnardes instrumentales un peu plus tardives que nous connaissons (même région, autour de 1820-1840) sont construites sur les schémas des danses de salon de leur époque, rappelant par leurs arpèges les « walses » ou autres danses allemandes en vogue en ce début du XIXe siècle. À première vue, sauf quelques-unes, les bourrées des violoneux semblent peu apparentées à ces airs, à moins qu'un siècle de transmission orale ne les ait beaucoup modifiés pour créer une musique nouvelle à partir de ce matériau.
Il me semble actuellement vraisemblable que la plus grande partie des bourrées recueillies auprès des musiciens traditionnels sont dérivées de l'évolution instrumentale d'un répertoire chanté beaucoup plus simple, attesté dès la fin du XVIIIe siècle par quelques témoignages. Le sujet de cette étude est d'ailleurs l'examen d'un exemple de ce type de lignage.
Les autres danses jouées par les violoneux sont des danses de couple, la plupart du temps diffusées au XIXème siècle à partir des salons parisiens puis provinciaux, et adoptées dans les bals populaires : valse (très majoritaire après les bourrées), mazurka, polka, scottish et leurs variantes. Certains airs adaptés à ces danses sont toutefois de style plus traditionnel, et semblent le recyclage d'un fonds plus ancien.
De façon beaucoup plus marginale, dans l'entre-deux-guerres, certains violoneux ont intégré à leur répertoire des danses plus récentes : marche de bal, fox-trot, tango etc, en vogue à leur époque, au moment même où le violon en perte de vitesse était détrôné dans les bals par l'accordéon.
Quelques facettes du répertoire sortent du registre de la musique de danse, correspondant à d'autres fonctions sociales. Ainsi, lors des mariages, tous les moments de déplacement du cortège de la noce, se faisant à pied, étaient menés en musique. Chaque musicien disposait d'un répertoire d'airs de marches, dédié à cette fonction et enchaînés à volonté, les mélodies elles-mêmes pouvant être d'origines diverses.
D'autre part, dans les terroirs auvergnats et limousins où le violon dominait (Corrèze, plateau de l'Artense, Monts-Dore, monts du Cantal), les violoneux accompagnaient chaque année, au moment de la Semaine Sainte, les groupes de jeunes chantant les « revelhets » lors de la quête nocturne des œufs. Cette coutume est associée à un répertoire, propre à cette région, de cantiques populaires et autres chants (en français et en occitan régional) sur les thèmes de la Passion du Christ, de la mort, du Jugement Dernier, etc.
L'apprentissage
L'apprentissage instrumental était largement autodidacte, même si certains apprentis violoneux pouvaient bénéficier de quelques « leçons » auprès de musiciens plus âgés. Une grande motivation et un bon sens de l'observation, des essais acharnés (souvent en cachette de la famille), et il ne restait plus qu'au violoneux postulant qu'à saisir la première occasion de prouver ses talents naissants pour de vrais danseurs.
Le répertoire était en premier lieu issu d'un fond familial de chansons connues depuis toujours, puis élargi par l'écoute d'autres musiciens, en fréquentant les bals. L'apprentissage oral/aural étant de règle, les mélodies se trouvaient naturellement appropriées et refaçonnées par le mécanisme de la mémorisation puis de la retranscription dans un geste instrumental personnel, d'où une multitude de variantes et de versions pour chaque air. De même, la technique n'était pas standardisée, chaque musicien se forgeant lui-même, suivant sa capacité et ses modèles, son propre vocabulaire de techniques d'archet, d'ornements, d'échelles etc.