Raga, Khayal, répertoire classique hindoustani

Le Khayāl se caractérise par un style très ornementé propice à la démonstration de la virtuosité et à la créativité de l’interprète : la partie plus ou moins fixe que constitue le poème chanté est le noyau à partir duquel s’établit l’élaboration du rāga. En suivant différentes phases de développement et en appliquant divers procédés de variations et d’improvisation, le chanteur « étend » le rāga. Issu de l’arabe, le terme Khayāl signifie d’ailleurs « imagination ».

Le poème chanté (bandiś) représente la quintessence du rāga, c’est à dire un condensé de sa forme (rūp) et de son image (shakal) comme l’expriment les musiciens. Chaque poème chanté reflète une certaine image du rāga dans lequel il est composé.

Le Khayāl se subdivise en deux catégories : le baŗā Khayāl (littéralement « grand » Khayāl), d’une part, qui se développe en tempo lent (vilambit), en première partie d’un récital, sur des cycles longs, et le choṭā Khayāl* (« petit » khayāl) qui lui succède, parfois sans césure, en tempo moyen ou rapide.

Le rāga est développé progressivement dans le baŗā Khayāl dans une exposition pouvant aller d’une demi-heure à 1h15, avant d’être traité plus rythmiquement dans le choṭā Khayāl, dans un cadre métrique généralement différent, sur un tempo enlevé.

Tandis que le baŗā Khayāl est aujourd’hui souvent présenté dans le cycle de douze temps ektāla, le choṭā Khayāl est lui bien souvent en tīntāla, un cycle de seize temps.

Les poèmes lyriques sont composés dans l’une ou l’autre de ces formes, ainsi que dans un rāga et un tāla donnés. Un chant Khayāl se compose de deux vers, renvoyant à deux sections, nommées respectivement la « sthāyī » et l’« antarā ». Alors que la « sthāyī » explore le registre médium du rāga, l’antarā est centré sur le registre supérieur. Chaque vers peut se subdiviser en deux, trois ou quatre sections, marquées par une césure.

La première partie du premier vers, qui conclut sur le premier temps du cycle, est appelée « mukhṛā ». Tel l’incipit d’un chant, le mukhṛā donne son nom à la composition. À l’instar de la première phrase du « sthāyī », il est chanté, tout au long de la performance, tel un refrain pour ponctuer les parties improvisées.

Les chants Khayāl sont généralement en braj, un dialecte occidental du hindi, parlé dans la région de Mathura et d’Agra (150 km environ au Sud de la capitale New Delhi). Le braj est également une langue littéraire : entre le 15e siècle et le début du 19e siècle, le braj a constitué le medium d’expression des grands saints-poètes de l’Inde du Nord.

Le spectre des thèmes abordés dans les Khayāls est très large. On trouve aussi bien des poèmes chantés d’inspiration romantique que des thèmes dévotionnels et philosophiques, et des chants décrivant la nature et les saisons. Les dieux du panthéon hindou font l’objet de nombreux chants de louange (la déesse, le dieu Shiva mais surtout Krishna). Les louanges de saints et de maîtres spirituels soufis sont également répandues. Parmi les autres thèmes habituels des chants Khayāl figure la séparation ou la réunion de deux amants. Certains traitent enfin du pouvoir de la musique, et du lien qui unit l’artiste à son patron, ou l’artiste à son maître.

Les débuts historiques du Khayāl sont l’objet de controverses mais ce genre vocal serait apparu à la fin du 16e siècle dans le cadre de la culture indo-persane des cours princières de l’Inde du Nord pour se développer les siècles suivant comme l’a mis en évidence l’historienne Katherine Butler Brown (2010). Ce point de vue s’écarte de la tradition orale qui attribue souvent au saint­‑poète médiéval Amir Khusrau (14e siècle) l’origine de ce chant.